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khulud Khamis Témoignage de Khulud Khamis, écrivaine palestinienne d’ Haifa mai 2021

lundi 7 juin 2021, Par Le Collectif 69

23 mai 2021 – écrit par Khulud Khamis, écrivaine d’Haïfa, auteure de « Haifa fragments » (Spinifex Press 2015) Publié par Rogue Collective

«  Dans l’après-midi, on a vu des petits groupes rentrer dans les immeubles et marquer les portes des familles palestiniennes avec un feutre rouge »

« J’essaye d’écrire ce texte depuis 3 jours, ne sachant pas par où commencer. Est-ce que je commence par l’expulsion de Palestiniens à Cheikh Jarrah ? Par les incidents à la mosquée al-Aksa ? Est-ce que je remonte un mois ou un an en arrière ? Je devrais peut-être remonter 73 ans en arrière, ou plus ? Je ne suis ni historienne ni journaliste. Ce n’est pas à moi de vous faire un cours d’histoire. Je suis une écrivaine vivant à Haïfa et je voudrais partager avec vous ce dont nous, Palestinien.ne.s d’Haïfa avons été les témoins dans notre ville bien-aimée ces 15 derniers jours. C ‘est de la petite histoire mais c’est celle de personnes sur le terrain. Ce n’est qu’une petite pièce du tableau d’ensemble mais toutes ces pièces s’ajoutent pour reconstituer la totalité.

Vendredi 14 mai 2021, j’ai appris au réveil que 38 jeunes Palestinien.ne.s avaient été arrêté.e.s pendant la nuit à Haïfa. Certain.e.s étaient mineur.e.s, interrogé.e.s sans la présence de leurs parents, pendant que d’autres avaient été blessé.e.s et n’ont reçu aucun soin. Des avocat.e.s d’Adalah, le « Centre d’aide juridique pour les droits de la minorité arabe en Israël » ont attendu toute la nuit pour rencontrer les détenu.e.s mais on leur a refusé la possibilité d’effectuer une consultation juridique.

Les jours précédents ont été presque surréalistes à Haïfa. Je n’ai jamais rien vu de tel dans ma ville bien-aimée. 2 nuits de suite, environ 200 colons extrémistes juifs s’appelant eux-mêmes « l’Armée des citoyen.ne.s » ont déferlé dans le quartier palestinien d’Haïfa. Ils/Elles étaient muni.e.s de battes et d’armes diverses, beaucoup avaient eu un entraînement militaire et ils/elles étaient très bien organisé.e.s. L’après-midi de petits groupes rentraient dans les immeubles et marquaient les portes des familles palestiniennes avec un feutre rouge. Ils ont vandalisé des douzaines de voitures, attaqué des Palestinien.ne.s dans la rue et ont essayé de pénétrer dans des logements palestiniens. Des attaques similaires ont eu lieu dans d’autres villes mixtes comme Lydd (Lod), Acca (Acre), Yaffa (Jaffa)et Jérusalem.

Après ces 2 nuits, et sachant que nous ne sommes pas protégé.e.s ni chez nous ni dans nos cités et villes, les représentant.e.s du quartier et de la communauté palestinienne se sont rencontré.e.s pour discuter de stratégies de protection puisque nous avons réalisé que, non seulement la police laissait faire ces attaques mais qu’elle les soutenait activement. Au lieu de nous protéger des colons, la police attaquait les Palestinien.nes dont le seul tort était de défendre nos logements. A Yaffa, Acca, Haïfa, Lydd et ailleurs des citoyen.ne.s palestinien.ne.s ont formé des comités d’auto-protection avec des groupes de citoyen.ne.s, des avocat.e.s, des médecins, des infirmier.e.s des psychologues et des spécialistes des traumatismes patrouillant dans les rues.

En parallèle nos allié.es juifs/ves israélien.ne.s ont commencé à s’organiser, en lien avec les citoyen.ne.s palestinien.ne.s. Mes ami.e.s d’Haïfa ont pris l’initiative de s’adresser à la mairesse d’Haïfa et de la pousser à fournir une protection aux citoyen.ne.s palestinien.ne.s d’Haïfa. Quand elle a dit qu’elle n’avait aucun pouvoir sur la police, ils et elles se sont dirigé.e.s vers le commissariat. Là on leur a dit que la police ne pouvait rien faire pour empêcher les attaques des colons. Avec détermination ils/elles ont alors organisé des patrouilles dans notre quartier le soir et ont rejoint les manifestations pacifiques des Palestinien.ne.s, essentiellement pour se montrer et ainsi nous protéger. Des femmes âgées, armées de panneaux avec le mot « Solidarité » en arabe ont fait face à des forces de police armées jusqu’aux dents. La police a essayé de les empêcher de rejoindre la manifestation mais ces femmes étaient déterminées.

Dans les jours qui ont suivi le 13 mai, des centaines de Palestinien.ne.s ont été arrêté.e.s. A Haïfa, Rashad Omari, rédacteur en chef du journal gratuit local al-Madina, a été arrêté chez lui au milieu de la nuit par les forces de sécurité israéliennes. Dans une video montrant son arrestation, plusieurs membres des forces de sécurité apparaissent avec un masque. Le lendemain il devait être libéré à condition de quitter Haïfa pendant 15 jours. Il a refusé et a été libéré un peu plus tard sans conditions ni restrictions.

Le matin du 16 mai un jeune homme a appelé une avocate d’Adallah pour lui demander combien il y avait de gens devant le palais de justice d’Haïfa attendant le jugement ou la libération des personnes arrêtées la nuit précédente car il voulait leur apporter de l’eau et des manakeesh (pain avec du zaatar dessus). Une demi heure après il était arrêté chez lui.

A Acca (Acre),une ville mixte au Nord d’Haïfa le frère d’une amie, 38 ans, père de 3 enfants a lui aussi été arrêté. Mon amie écrit que toute la vie de son frère tourne autour de son travail et de sa famille. Le lendemain il a aussi été libéré à la condition de ne pas résider à Acca pendant 15 jours, ce sans avoir vu un juge. Quand son avocate a demandé à voir l’ordonnance, la police a refusé de la lui montrer. Le lendemain il a été convoqué au tribunal et libéré avec un jour d’assignation à domicile. Son avocate n’a jamais pu voir l’ordonnance malgré ses demandes répétées.

Ce ne sont là que quelques exemples d’arrestations menées dans le cadre d’une persécution politique systémique des citoyen.ne.s palestinien.ne.s. Elles ont pour but de nous décourager et de nous effrayer et sont une tactique très fréquente de répression utilisée depuis des années par les forces de sécurité israéliennes . Tout ceci vise à nous briser et à nous dissuader d’exiger la liberté et la dignité.

Le 18 mai les Palestinien.ne.s ont organisé une grève. Elle a été organisée en moins de 2 jours sans leadership politique. Des artistes de renom, écrivain.e.s, acteurs/trices et des militant.e.s locaux se sont tourné.e.s vers les media sociaux et vers la rue et ont appelé à la grève en la qualifiant d’occasion historique d’obtenir un véritable changement. Le jour de la grève, plusieurs activités ont été menées dans tous les quartiers : chant, contes pour enfants, visites, discussions, ateliers artistiques etc. Il en ressortait une ambiance d’unité, de vivre ensemble, d’appartenance et de solidarité. Car, comme le dit la poètesse palestino-canadienne Rafeef Ziadah : « Nous enseignons la vie, monsieur » (à voir sur youtube).

Aujourd’hui nous sommes le vendredi 21 mai et nous avons appris en nous réveillant qu’un cessez le feu avait été conclu. Ca a été une matinée relativement calme à Haïfa. Je suis assise dans mon jardin au moment où je tape ces mots et je regarde les parterres de fleurs négligés. Il faut que j’enlève les mauvaises herbes dans mon jardin. J’ai juste jeté un coup d’oeil aux informations ce matin mais je n’ai pas besoin de les lire pour savoir ce qu’elles racontent. Les informations israéliennes parlent d’un lent retour au statu quo. Je suis soulagée qu’au moins cette terrible attaque contre Gaza ait cessé -pour l’instant. Mais j’ai peur. J’ai peur que nous retournions au statu quo, à la « normalité » qui est notre réalité quotidienne : encore plus de discrimination systémique et de lois racistes à l’encontre des citoyen.ne.s palestinien.ne.s, la poursuite des assassinats de Palestinien.ne.s à Gaza et en Cisjordanie, le blocus de Gaza jamais levé depuis quatorze ans. Dans la société israélienne en général, nous voyons une radicalisation dangereuse, une plus grande déshumanisation et une haine envers les Palestinien.ne.s et une normalisation du régime actuel d’apartheid. Nous ne voulons pas de cette « normalité ». C’est une « normalité » dangereuse.

Nous, citoyen.ne.s palestinien.ne.s d’Israël, sommes une part inséparable du peuple palestinien et notre combat est commun. C’est un combat pour la justice, la liberté, l’égalité des droits et une vie dans la dignité. Pour la première fois nous voyons un espoir dans la jeune génération. C’est une génération résolue, courageuse et qui n’a pas peur. C’est une génération qui n’accepte plus nos dirigeants politiques qui ont failli. C’est une génération qui met l’accent sur l’unité du peuple palestinien -Palestinien.ne.s dans les frontières de 48, Palestinien.ne.s de Gaza, de la Cisjordanie occupée et de la diaspora. J’ai bon espoir que cette génération saura nous mener à un futur meilleur pour tous et toutes. Un futur où nous vivrons dignement, avec une totale égalité des droits et la liberté.

Traduit de l’anglais par M.H.

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